Date

jeudi 15 juin 2023
Expired!

Heure

15h00

Exposition «Loti et le Pacifique » (Musée Hèbre)

 
     Visite commentée de l’exposition temporaire « Et Julien Viaud devint Pierre Loti, le voyage de « La Flore » dans le Pacifique, 1872″ au musée Hèbre avec Maryse Vila-Cornelia, guide- conférencière. 
 
 
     
 
             Durant les manifestations culturelles données en ce mois de juin 2023 à Rochefort à l’occasion du 100ème anniversaire de la mort de Pierre Loti, écrivain-voyageur, le musée de la ville a voulu mettre en lumière l’expédition sur la Flore, une frégate construite à Rochefort sur laquelle l’aspirant de 1ère classe effectuera un périple dans le Pacifique en 1871-1872 (il a alors 22 ans).
   
P. Loti aspirant de 1ère classe sur la Flore 1871-1872
     
Equipage de la Flore pour Valparaiso 1871
 
         En tant qu’Aspirant de 1ère classe, Julien dispose d’une cabine sommaire mais qu’il n’hésite pas à organiser et orner avec les objets exotiques qu’il a collectés.    
Il fera ainsi à l’occasion de ses nombreux voyages (parfois ce sont uniquement avec des fleurs… ce qui n’est pas sans surprendre ses supérieurs ! 

Expédition en Pacifique de La Flore 1871-1872
       
           Précédemment il a effectué une mission sur le « Jean Bart » en 1869 au sortir de l’école navale de Brest, une mission qui l’a mené vers Alger, puis Mers-el-Kébir, Le Brésil, les Etats-Unis, le Canada. 
             
              Effectivement, il a choisi « sa » voie (maritime) car depuis longtemps bercé par les « ailleurs », si souvent racontés par son frère chéri, Gustave de 14 ans son aîné.
            Chirurgien de marine (formé initialement à l’Ecole de médecine de Rochefort), parti en 1858 (un drame pour Julien, 8 ans) pour un poste à Tahiti puis en Cochinchine. 
            Lors de retours dans la maison familiale, Gustave ramène des trésors du Pacifique (insectes séchés, coquillages répertoriés, oiseaux empaillés et divers objets exotiques), constituant un cabinet de curiosité tout à fait personnel, toujours bien préservé.              Il y a aussi des photographies de Gustave, cité comme « premier photographe de Tahiti, dès son arrivée. 

     

           Egalement de quoi émerveiller Julien, un ouvrage offert par Gustave  « Voyage dans les deux océans atlantique et pacifique 1844-1847 » d’Eugène Delessert.

 

           Julien se remémorera le portrait de la Reine Pomaré et l’illustration de deux jeunes filles tahitiennes, évocation d’une vie paradisiaque dont Loti s’imprègnera avant de choisir la vie de voyageur que l’on connait mais aussi pour ses premières écritures et édition dans « le Mariage de Loti » (1880). 
 
 
       
           L’entrée de Julien à l’Ecole navale était une évidence malgré la préparation et le concours à passer et bien que Gustave l’en avait dissuadé.
          Ironie du sort, ils se rejoindront sur les routes du Pacifique.
Les deux frères, Julien et Gustave, portraits réalisés par leur sœur Marie Bon
              
               Dans l’immédiat, il s’agit de l’embarquement sur « la Flore », commandée par le contre-amiral de Lapelin pour l’île de Pâques, une mission de 6 jours qui marquera fortement Julien Viaud.
Quelques impressions de ce dernier à son arrivée :
           « … l’île de Pâques n’est sur le passage de personne. On l’a découverte par hasard et les rares navigateurs qui l’ont de loin en loin aperçu, en ont fait des récits contradictoires.
           « La population, dont la provenance est d’ailleurs entourée d’un inquiétant mystère, s’éteint peu à peu pour des causes inconnues et il y reste quelques douzaines de sauvages, affamés et craintifs qui se nourrissent de racines ; au milieu des solitudes de le mer, elle ne sera bientôt qu’une solitude aussi, dont les statues géantes demeureront les seules gardiennes…
           « Rapa-Nui est le nom donné par les indigènes de l’île de Pâques et rien que les consonnes de ce mot, il y a, me semble-t-il de la tristesse, de la sauvagerie et de la nuit. Nuit des temps, nuit des origines ou nuit du ciel, on ne sait trop de quelle obscurité il s’agit ;  mais il est certain que ces nuages noirs, dont le pays s’enténèbre pour nous apparaitre, répondent bien à l’attente de mon imagination » ….
 
             Il s’agit d’explorer l’île, mais surtout de ramener en France une des antiques statues de pierre (moaïs) avec une corvée (100 hommes déployés ici avec tambours et trompettes (plutôt clairons).
          Avant la grande liesse qui suivit, il faut mesurer la difficulté à mener cette mission au milieu d’une peuplade inconnue, imaginer un système de levage sans briser les statues de tuf, d’autres plus anciennes de basalte ou de scories volcaniques.
             Elles sont le plus souvent installées sur des pentes, enfoncées de moitié, en bordure de falaises, en face, une vaste esplanade pour des cérémonies communautaires, sociales ou religieuses ; des maisons à proximité pour les chefs, prêtres ou hauts dignitaires, ce sont des sanctuaires.
dessins de Julien Viaud
île de Pâques Cratère de Rano-Kau
île de Pâques, un chef de tribu
 
             Cette mission réussie pour la France, provoqua une liesse indescriptible, difficilement contrôlable pour l’enlèvement « des idoles », la sauvagerie des peuplades se révèle à P. Loti. 
 
            « D’autres têtes tombent, c’est le chaos  invraisemblable, ainsi la découverte près d’un tumulus de « mâchoires et crânes calcinés, on ne peut soulever des débris de terre sans remuer des débris humains, comme si le pays était un ossuaire immense, c’est que, transmission faite, les hommes de Rapa-Nui connurent l’horreur d’être trop nombreux, de s’affamer et de s’étouffer dans leur île dont ils ne savaient plus sortir »…
      écrits de Pierre Loti  « Journal d’un aspirant de la Flore »
Enlèvement d'un moai par les marins de "la Flore"- photographie parue dans "le Tour du monde" 1878
 
           Julien Viaud, témoin exceptionnel, avec un contact direct avec les pascuans, s’acquittera parfaitement de sa tâche : observer, conserver, garder trace de ce peuple qui va disparaître.
 
            Pour l’heure, il n’écrit pas mais possède un don de dessinateur (tout comme sa sœur aînée, Marie). Il fait parvenir à Marie ses dessins légendés sous le nom de Julien Viaud, lesquels sont transmis, grâce à des amis de la famille, à la revue «L’illustration ».
         La parution des dessins en 1872 contribuera à un début de notoriété pour Pierre Loti, et une première rémunération, avant de l’amener plus tard à l’écriture. 
 
 
                Suite de cette mission, une tête est ramenée à Paris au Musée de l’Homme – Palais de Chaillot – puis transférée, depuis son ouverture au Musée du Quai Branly, devenu musée des Arts Premiers en 2006.

Musée quai Branly Tête Moaï - ile de Pâques - photo A.R.
   
             Les îles Marquises : là aussi un monde en perdition. Loti prend conscience que la civilisation occidentale va anéantir ces peuplades, ce sera la mise en garde qu’il essaiera de transmettre.
          Nuka-Hiva, la plus grande des îles Marquises, avec la vaste baie de Taiohae, c’est l’évocation d’un pénitencier et d’une déportation…  les condamnés ont quitté l’île depuis longtemps.
         « Une région sauvage, fermée de deux remparts  d’inaccessibles montagnes, une tranquille rivière y entretient une fraîcheur de verdure inaltérable ; la tribu des Taïoas habite cet Eden »… (lesquels montreront leurs remarquables tatouages).
        Encore de nombreux dessins réalisés par Julien Viaud, Ils sont regroupés dans l’ouvrage ci-joint « une œuvre au long cours » ! en effet, on retrouve tous les voyages de Loti (qui s’appelait encore Viaud).
"Loti , dessinateur" . En couverture Le chef de la baie Tchitchagow (les Marquises)
la vallée des Taïoas (les Marquises) - janv 1872 Collection Maison Pierre Loti
la Reine Vaékéhu, dessin paru dans l'Illustration en 1873
 
          Tahiti,  « l’île délicieuse »,  c’est une destination pleine de signification  pour Pierre Loti. Les rêves d’enfance deviennent réalité. En 1872, Les vies de Gustave et de Julien se joignent dans le Pacifique par le circuit et les escales mais Gustave est décédé prématurément en 1865 de dysenterie, immergé dans le golfe du Bengale.
Tahiti Aquarelle Cascade de Fautaüa -1872
           Julien marche dans ses pas, il veut découvrir un peu plus que les correspondances reçues à Rochefort sur Rarahu, l’épouse, et peut-être sur les 2 enfants qu’elle aurait eus (selon les écrits un peu confus de Gustave).
             Tout ceci est repris et approfondi dans l’ouvrage d’Alain Quella-Villegier, paru en 2022 « Gustave à la mer « 
« Gustave à la mer » d’Alain Quella-Villegier 2022
 
            Ce sera la trame de son premier roman « le Mariage de Loti », publié en 1880  ; il utilise des personnages fictifs : un marin anglais et de son épouse. C’est romanesque mais le monde tahitien qu’il décrit est tout à fait juste et demeure un témoignage historique unique.  
…. et Julien Viaud devient Pierre Loti (surnom donné  : en maori :  rose, laurier-rose ou du lotier) ,

Dessin de J. Viaud Ariinoore Moetia, une suivante de la Reine Pomaré

                (la suivante ayant inspiré Aritéa dans « le Mariage de Loti » 

 

            Une nouvelle édition du Mariage de Loti paraitra en 1898 avec de nouvelles illustrations (les images de femmes dénudées dans lesquelles beaucoup ont vu de l’indécence et non pas les peuples primitifs ! ).
            Le nom de Julien Viaud est pour l’heure conservé pour les dessins et articles de presse. En littérature, le nom de Pierre Loti interviendra pour la parution suivante « le Roman d’un spahi » publié chez l’éditeur Calmann-Lévy, à l’égard duquel il restera fidèle pour tous ses écrits.
 
              De cette expédition dans le pacifique, Pierre Loti a rapporté quantité d’objets qu’il a voulu rassembler dans la « chambre océanienne », pièce qui appartenait précédemment à Gustave, renfermant ses propres souvenirs de voyage.
              A la mort P. Loti, les collections sont vendues par Samuel, son fils, à la Salle Drouot, elles contribueront  alors à faire connaître un art polynésien chez les surréalistes conduits par André Breton en 1929… lequel critique néanmoins l’écrivain, au style suranné, mièvre, précieux…   
Photographié par Dornac,  le photographe « people » de l’époque car Pierre Loti a été élu à l’académie Française en 1891 – publication dans  » Le Monde illustré »
P. Loti dans la chambre océanienne, Rochefort
   
                  Ne doutons pas que ces récits et dessins exceptionnels évoquant un monde perdu concernant une petite partie des périples de notre écrivain-voyageur, auront retenu votre attention et suscité le désir de vous rendre au Musée Hèbre pour embarquer sur « La Flore » en Pacifique.  Merci à Maryse, guide du musée et à François pour cette belle initiative.                Annie R.
Photos de Béatrice et A. R.